Lettre d’information franco-allemande | Novembre 2022
Par le biais de cette lettre d’information bilingue, rédigée par l’équipe franco-allemande de GGV qui a pour vocation de conseiller les entreprises dans leur relations transfrontalières, nous souhaitons vous tenir informés de l’actualité juridique et fiscale française et internationale.
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Actualités France
- E-COMMERCE - E-commerce et consommation : résiliation facilitée des contrats conclus à distance pour le consommateur
- DROIT COMMERCIAL – BREVE - Précision concernant la rupture brutale des relations commerciales établies
- DROIT COMMERCIAL - BREVE - La conformité du déréférencement d’une plateforme numérique décidé par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à la Constitution
- DROIT COMMERCIAL – BREVE - Précisions sur le raccordement au réseau public de distribution d’électricité pour la recharge des véhicules électriques dans les parkings en résidentiel collectif
- DROIT COMMERCIAL - BREVE - Obligation d’information du consommateur sur les garanties : de nouvelles dispositions applicables depuis le 1er octobre 2022
- CORPORATE - Conventions de compte courant d’associé et expertise de gestion
- CORPORATE - Une personne morale peut être offensée dans l'exercice de ses fonctions de dirigeant
- CONTENTIEUX – Le règlement européen n°2020/1784 relatif à la signification et à la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale est entré en vigueur
- DROIT FISCAL - Projet de Loi de Finances 2023 : Principales mesures concernant les entreprises
- DROIT IMMOBILIER / ENVIRONNEMENT - La remise en état d’un site ICPE à la charge de l’acquéreur en cas de changement d’usage du site
- DROIT IMMOBILIER / CONSTRUCTION - Le point de départ du délai de recours de l’entrepreneur contre le fabricant en garantie des vices cachés court à compter de l’assignation
- DROIT IMMOBILIER / ENVIRONNEMENT – Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé reconnue liberté fondamentale par le Conseil d’État
- PROTECTION DES DONNEES - Focus sur la géolocalisation de véhicules
- PROTECTION DES DONNEES - Sanction de deux sociétés pour non-respect des droits des personnes en matière de prospection commerciale
- DROIT SOCIAL – Sur certaines mesures de soutien du pouvoir d’achat intéressant les entreprises et leurs salariés
- DROIT SOCIAL - BREVE - Mise à jour obligatoire du règlement intérieur pour rappeler l’existence du dispositif de protection des lanceurs d’alerte
- COMPLIANCE – BREVE – Publications et recommandations du BAFA, autorité administrative en charge du contrôle d’application de la loi allemande sur le devoir de vigilance
- COMPLIANCE – BREVE – Lanceur d’alerte : le Décret d’application est paru
- IMMOBILIENRECHTDer Eigentümer eines Grundstücks, das als klassifizierte Anlage zum Schutz der Umwelt (ICPE) betrieben wird, ist nur in eingeschränkten Fällen für Abfälle verantwortlich.
Actualités France
E-COMMERCE - E-commerce et consommation : résiliation facilitée des contrats conclus à distance pour le consommateur
La Loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat n° 2022-1158 du 16.08.2022 prévoit de nouvelles obligations pour des vendeurs de services en ligne. Celles-ci s’ajoutent à d’autres, entrées en application en cours de l’année passée :
Le 3 août 2022 le Parlement a adopté la loi dite sur le pouvoir d’achat. Celle-ci comporte des dispositions visant à renforcer la protection des consommateurs et parmi celles-ci, l’obligation pour le vendeur de services en ligne d’offrir aux clients consommateurs une possibilité de se désabonner par voie électronique. Plus précisément, la loi introduit au Code de la consommation un nouvel article L. 215-1-1 qui sera applicable à compter du 1er juin 2023 et qui prévoit que le consommateur doit avoir la possibilité de résilier le contrat par voie électronique si le contrat a été conclu par voie électronique ou si, au jour de la résiliation, le professionnel offre au consommateur la possibilité de conclure des contrats par voie électronique. Le nouveau texte met ainsi à la charge du professionnel – sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à 75.000 euros d’amende – de mettre à disposition une fonctionnalité gratuite qui permet au consommateur de notifier et d’accomplir les démarches nécessaires à la résiliation du contrat. Après la notification d’une telle résiliation, le professionnel doit confirmer la réception et informer de la date à laquelle le contrat prend fin et des effets de la résiliation.
Un décret viendra préciser les modalités techniques pour garantir une identification du consommateur et l’accès facile, direct et permanent du consommateur à cette résiliation facilitée.
La même obligation s’appliquera aux assureurs (article L. 113-14 du Code des assurances), aux organismes de prévoyance (article L. 932-12-2 du Code de la sécurité sociale) et aux mutuelles (article L. 221-10-3 du code de la mutualité).
Il est intéressant de noter que ce texte de loi est inspiré de la loi allemande du 10 août 2021 sur les contrats équitables (Gesetz für faire Verbraucherverträge) codifié au § 312k du BGB, qui impose aux professionnels, prestataires de services en ligne, de mettre à disposition des consommateurs un bouton de résiliation.
A souligner également que le Code de la consommation a déjà fait l’objet de nombreuses modifications depuis le début de cette année. Ainsi, en application de l’Ordonnance n° 2021-1247 du 29.09.2021, depuis le 1er janvier 2022, les professionnels sont soumis à une obligation d’information renforcée, portant notamment sur les caractéristiques essentielles des produits et services, y compris les contenus et services numériques (article L. 111-1 Code de la consommation).
Par ailleurs, à travers les dispositions de l’ordonnance n° 2021-1734 du 22.12.2021 transposant en droit français la Directive (UE) 2019/2161 dite « Omnibus » (entrées en application le 28.05.2022), la protection des consommateurs s’était déjà vue renforcer les règles existantes et les adapter (voir sur ce sujet notre Lettre d’information franco-allemande de juillet 2022).
DROIT COMMERCIAL – BREVE - Précision concernant la rupture brutale des relations commerciales établies
La Cour de cassation précise les conditions dans lesquelles une tête de réseau engage sa responsabilité à ce titre.
Cass. Com. 22 juin 2022 n°21-14.230
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Une tête de réseau peut-elle être tenue responsable de la rupture brutale des relations commerciales établies d’un contrat rompu par les membres de son réseau ?
La Cour de cassation a répondu par l’affirmative, à condition que les membres du réseau n’aient pas d’autonomie de décision quant au choix de leurs fournisseurs et à la poursuite de leur relation commerciale.
Dans cette affaire, la société Esnault, fournisseur de fruits et légumes à plusieurs magasins d’enseigne Leader Price, s’est vue déréférencer dans 43 magasins exploités soit directement par la société Leader Price Exploitation (LPE) soit par des tiers indépendants de LPE (concessionnaires).
La société Esnault puis son liquidateur ont estimé que cette rupture était brutale et ont engagé une action sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° [désormais L. 442-1 II] du Code de commerce à l’encontre de la seule société LPE, tête de réseau, à l’origine de la décision de déréférencement.
Leur demande a été rejetée par la cour d’appel de Paris, qui a estimé que la responsabilité de la rupture ne pouvait être imputée à la société LPE pour le compte des sociétés membres du réseau alors même qu’elles avaient une personnalité juridique distincte. La Cour de cassation a cassé cet arrêt, considérant que les juges doivent rechercher si les sociétés membres du réseau disposent d’une autonomie de décision quant aux choix de leurs fournisseurs et au maintien de leurs relations commerciales.
Auparavant, seules les têtes de réseau détenant des filiales à 100 % pouvaient être responsables à ce titre. Par cet arrêt, les critères susceptibles d’engager la responsabilité de la tête de réseau sont élargis. Les têtes de réseau devront désormais être prudentes quant aux conditions dans lesquelles elles déréférencent les fournisseurs.
Une question ? N’hésitez pas ! GGV vous accompagne dans toute la durée de vos relations commerciales.
DROIT COMMERCIAL - BREVE - La conformité du déréférencement d’une plateforme numérique décidé par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à la Constitution
Le déréférencement d’une plateforme numérique ordonné par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est-il conforme à la Constitution ? C’est la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui vient désormais d’être soumise par le Conseil d’Etat au Conseil constitutionnel.
Conseil d’Etat, 22 juillet 2022, n°2022-1016 QPC
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Selon l’article L. 521-3-1 2° a) du Code de la consommation, la DGCCRF a le pouvoir d’ordonner le déréférencement des plateformes en ligne, lorsque celle-ci commettent des atteintes graves à la loyauté des transactions ou à l’intérêt des consommateurs.
Ainsi, dans une affaire ContextLogic Inc., éditeur de la plateforme d’e-commerce Wish, la DGCCRF, après avoir constaté que la plateforme commercialisait des produits non conformes, voire dangereux pour les consommateurs (pour les jouets : 95 % non conformes, 45 % dangereux), et n’appliquait pas de procédure de rappel des produits, a enjoint à Wish le 15.07.2021 de se mettre en conformité.
L’injonction est cependant restée sans effet. Le 16.11.2021, la DGCCRF a constaté qu’il y avait une atteinte grave à l’intérêt des consommateurs et a ordonné à Apple, Google, Qwant et Microsoft de déréférencer la plateforme Wish en application de l’article L. 521-3-1 2° a) du Code de la consommation.
La société ContextLogic Inc. a alors contesté cette mesure devant le Conseil d’Etat et a soulevé une QPC. Selon elle, l’article L. 521-3-1 2° a) du Code de la consommation porterait une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre, la liberté d’expression et la liberté de communication.
Dans sa décision du 22.07.2022, le Conseil d’Etat a estimé que la QPC soulevée par ContextLogic Inc. présentait un caractère sérieux, et a décidé de la soumettre au Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel devra donc prendre position : la DGCCRF peut-elle continuer à ordonner un déréférencement des plateformes à titre de sanction ?
DROIT COMMERCIAL – BREVE - Précisions sur le raccordement au réseau public de distribution d’électricité pour la recharge des véhicules électriques dans les parkings en résidentiel collectif
Deux nouveaux décrets précisent le contenu des conventions portant sur les infrastructures collectives de recharge en résidentiel collectif.
La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets avait introduit des dispositions visant à faciliter, dans le résidentiel collectif (immeuble collectif avec monopropriétaire ou copropriété), le raccordement des infrastructures collectives nécessaires à l’accueil de véhicules électriques dans les parkings.
L’installation de telles infrastructures collectives, qui rentre dans le cadre du raccordement au réseau public de distribution d’électricité, est un préalable nécessaire à la mise en place ultérieure de points de recharge pour les utilisateurs.
Dans le cadre du nouveau dispositif mis en place par la loi n° 2021-1104, il revient au gestionnaire du réseau ou à un opérateur d’infrastructure de recharge (en général privé) de préfinancer l’infrastructure collective. La charge de l’ouvrage collectif est ensuite supportée, par l’intermédiaire d’une contribution additionnelle, par les seuls utilisateurs qui demandent leur raccordement à cet ouvrage collectif par un branchement individuel pour bénéficier d’un point de recharge.
Le décret d’application n° 2022-959 du 29 juin 2022 précise les modalités d’installation de l’infrastructure collective par un opérateur d’infrastructure de recharge, et notamment le contenu de la convention qui devra être conclue avec un monopropriétaire ou un syndicat de copropriétaires. Un diagnostic technique préalable devra être effectué avant l’établissement de la convention.
La convention devra contenir, d’une part, les éléments contractuels essentiels entre l’opérateur et le monopropriétaire ou le syndicat des copropriétaires et, d’autre part, les conditions générales des relations contractuelles entre l’opérateur et les futurs utilisateurs de points de recharge raccordés à l’infrastructure collective. L’opérateur est responsable de tous les dommages causés par les travaux ou par ses installations et équipements et devra être assuré pour couvrir les éventuels dommages matériels ou corporels.
Le décret d’application n° 2022-1249 du 21 septembre 2022 précise les modalités d’installation de l’infrastructure collective par le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité, y compris le contenu de la convention de raccordement et les modalités de détermination de la contribution au titre de l’infrastructure collective.
Sa signature est conditionnée par l’existence de demandes de branchements individuels et par la demande d’au moins un devis préalable auprès d’un autre opérateur.
Ces textes ont donc des conséquences aussi bien pour les monopropriétaires et syndicats de copropriétaires que pour les opérateurs d’infrastructure de recharge.
DROIT COMMERCIAL - BREVE - Obligation d’information du consommateur sur les garanties : de nouvelles dispositions applicables depuis le 1er octobre 2022
Le décret n°2022-946 du 29 juin 2022 a introduit, en application de l’ordonnance n°2021-1247 du 29 septembre 2021, de nouvelles obligations d’information du consommateur relatives, notamment, aux garanties légales et commerciales, entrées en vigueur le 1er octobre 2022.
Le décret précise les mentions obligatoires devant figurer dans les conditions générales. Les conditions générales de vente de biens, de fourniture de contenus numériques ou de services numériques devront comporter un encadré conforme aux modèles annexés aux articles D. 211-2, D. 211-3 et D. 211-4 du Code de la consommation, qui présente les garanties légales applicables. Tout contrat de garantie commerciale souscrit à l’occasion de la vente d’un bien ou de la fourniture de contenus numériques ou de services numériques doit également comporter un tel encadré présentant les garanties légales applicables.
Les encadrés peuvent être consultés directement dans l’annexe du décret (lien)
L’obligation (préexistante) d’information des consommateurs sur l’existence et les modalités de mise en œuvre de la garantie légale de conformité et des autres garanties légales, de la garantie commerciale et du service après-vente est quant à elle étendue à la garantie légale de conformité des contenus et services numériques. Pour l’ensemble des biens et services concernés par l’obligation d’information, il devient obligatoire d’utiliser les termes « garantie légale » et « garantie commerciale » pour désigner les notions correspondantes.
Enfin, le professionnel doit, entre autres, indiquer au consommateur les modalités pratiques pour renvoyer le bien lorsque sa mise en conformité ne peut intervenir sur le lieu où le bien se trouve.
Il est donc recommandé aux fournisseurs de bien et de contenus et services numériques de vérifier que leurs conditions générales et autres processus sont à jour des dernières dispositions applicables.
CORPORATE - Conventions de compte courant d’associé et expertise de gestion
La conclusion d’une convention de compte courant d’associé, qui est une convention réglementée, constitue une opération de gestion susceptible de faire l’objet d’une expertise de gestion.
Dans un arrêt du 21 avril 2022 (n°20-11.850), la chambre commerciale de la Cour de cassation a qualifié pour la première fois un compte courant d’associé de convention réglementée. Ainsi toute convention de compte courant d’associé doit être approuvée en assemblée générale et est susceptible de faire l’objet d’une expertise de gestion, et ce, même si elle a été conclue à des conditions normales.
En l’espèce, un associé d’une SARL qui avait procédé à une avance en compte courant a assigné en référé la Société aux fins de voir ordonner une expertise de gestion et qu’il lui soit communiqués sous astreinte les comptes annuels et certains documents sociaux. Eu égard à son investissement et au fait que la Société ne tenait aucune comptabilité, que le dirigeant ne convoquait pas les associés ni ne répondait aux demandes de l’associé, ce dernier pouvait légitimement s’inquiéter du sort de son investissement.
La cour d’appel de Bordeaux a fait droit à cette demande, mais la Société et son gérant ont formé un pourvoi en cassation en soutenant que la conclusion d’une convention de compte courant d’associé ne constituait pas une opération de gestion.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en affirmant pour la première fois que les conventions de compte courant constituaient des conventions réglementées, sans préciser la nécessité de rechercher si lesdites conventions avaient été conclues à des conditions normales.
Jusqu’ici, la seule précision sur cette problématique était une réponse ministérielle de 1981 (Rep. min., n°37140, JOAN mars 1981, p. 1028), qui retenait que la convention de compte courant d’associé était une convention réglementée si elle produisait des intérêts. Cette solution semble avoir été suivie par la jurisprudence (Cass. com., 29 mars 1994, n°92-13.584).
Dans son arrêt récent, la Cour de cassation va donc plus loin dans l’analyse de la convention réglementée.
A ce titre, toute convention de compte courant serait une convention réglementée au sens de l’article L. 223-19 du Code de commerce[1] et constituerait en outre une opération de gestion au sens de l’article L. 223-37 du même code pouvant donc faire l’objet d’une expertise de gestion.
En effet, quelles que soient les modalités de formation du compte courant d’associé, il s’agira toujours d’un contrat de prêt faisant naître une obligation de remboursement à la charge de la société.
Ce type de convention devra être approuvée par le ou les associés réunis en assemblée générale, car, bien qu’usuelle, une telle convention constitue rarement une opération courante définie par la jurisprudence comme une opération effectuée par la société d’une manière habituelle, dans le cadre de son activité, et similaire aux opérations qu’elle a réalisées dans le passé (Cass.com. 21 avril 1977 n°7512.918).
Selon les articles L. 223-37, L. 225-231 et L. 227-1 du Code de commerce, une demande en justice concernant la désignation d’un expert chargé de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société est possible dans les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiées ainsi que dans les sociétés à responsabilité limitée. Pour une expertise de gestion dite « de minorité », les demandeurs doivent détenir, individuellement ou en se groupant, au moins 10 % du capital social pour les SARL, et un minimum de 5 % pour les SA et SAS.
Il est précisé qu’une expertise de gestion ne peut être demandée qu’après avoir posé par écrit au dirigeant des questions sur l’opération contestée. Seul à défaut de réponse dans un délai d’un mois, ou à défaut de communication d’éléments de réponse satisfaisants, les associées peuvent demander une expertise de gestion. Pour les SARL, une telle interrogation préalable n’étant pas obligatoire, les associés d’une SARL peuvent donc demander en justice une expertise sans avoir préalablement interroger les dirigeants.
Il apparaît comme légitime qu’un associé connaisse le sort de son investissement, notamment lorsque la société est peu « transparente » vis-à-vis l’associé, comme en l’espèce. Cet arrêt renforce donc le droit d’information des associés qui, selon les dispositions actuelles du Code de commerce, est assez limité. Il porte en effet essentiellement sur la communication par les dirigeants des documents sociaux et le droit pour les associés de poser des questions écrites « sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation » (articles L. 223-36 pour la SARL, L. 225-232 pour la SA, L. 227-1 et L. 223-36 pour la SAS et L. 221-8 pour la SNC).
La portée de cet arrêt est très vaste du fait que les dispositions légales en vigueur sont similaires et cette solution semble transposable.
[1] Pour les SA il s’agira des articles L. 225-38 et L. 225-86 , et pour la SAS de l’article L. 227-10 du Code de commerce.
CORPORATE - Une personne morale peut être offensée dans l'exercice de ses fonctions de dirigeant
Une société peut demander réparation du préjudice moral qu’elle a subi du fait d’une révocation dénigrante et diffamatoire en tant que représentant légal de la société.
Cour de cassation, Chambre commerciale, 30 mars 2022, 19-25.794
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La Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans sa décision du 30 mars 2022, n°19-25.794, a eu à trancher la curieuse question de savoir si une personne morale, au même titre qu’une personne physique, pouvait demander réparation d’un préjudice moral en raison du caractère vexatoire et brutal de la révocation de son mandat de présidente.
Ce cas reposait essentiellement sur les faits suivants :
Une SARL a été nommée gérante d’une SAS. La SARL était elle-même représentée par un gérant, personne physique qui était également l’associé unique et qui était auparavant lui-même gérant de la SARL à titre personnel. Par la suite, la SARL a été révoquée de sa fonction de gérante dans le cadre d’une opération d’acquisition de la SAS.
Lorsque le représentant légal de la gérante est revenu de ses vacances d’été, il a été mis devant le fait accompli. L’accès à sa messagerie professionnelle a été supprimé, sa carte bancaire professionnelle a été bloquée, tout comme son numéro de téléphone professionnel. En outre, la SAS avait engagé un agent de sécurité pour empêcher l’ancien gérant d’accéder aux locaux de l’entreprise.
En l’espèce, la Cour de cassation a accordé à la SARL une réparation du préjudice moral pour les circonstances vexatoires et brutales de la révocation.
En principe, un gérant peut être révoqué ad nutum, c’est-à-dire à tout moment. Une indemnisation pour le préjudice peut être réclamée dans deux hypothèses. D’une part, la révocation sans juste motif du gérant peut donner lieu à des dommages et intérêts, pour autant que cela ne soit pas exclu par les statuts, selon la forme juridique de la société. D’autre part, la révocation abusive d’un gérant peut donner lieu à des dommages et intérêts.
Une telle révocation existe lorsqu’elle présente un caractère vexatoire et brutal. Or, le droit à des dommages et intérêts n’a précisément pas pour but de compenser la perte de la fonction de dirigeant, mais plutôt de réparer les circonstances de la révocation qui sont à l’origine du préjudice.
Le caractère vexatoire et brutal d’une révocation peut sembler évident, surtout lorsqu’il s’agit d’une personne physique qui peut subir une insulte. C’est ainsi qu’il semble plus adéquate qu’une personne physique se voit accorder des dommages et intérêts pour un préjudice moral dans les cas où elle n’a pas eu la possibilité de se défendre dans le cadre de sa révocation.
Dans la jurisprudence antérieure, des dommages et intérêts ont été également admis lorsque la révocation s’accompagnait d’une demande immédiate de restitution des clés des bâtiments de l’entreprise et de l’interdiction pour le dirigeant révoqué de rester sur le site de l’entreprise.
En revanche, jusqu’à présent, des dommages et intérêts pour un préjudice moral n’étaient accordés à une personne morale que s’il était prouvé qu’elle avait subi un préjudice en termes de réputation ou d’image de sa marque auprès de l’opinion publique. Il en va de même dans le cas où un établissement de crédit diffuse de fausses informations sur la situation financière et le niveau d’endettement d’une personne morale. De même, une personne morale peut subir un préjudice moral du fait d’une concurrence déloyale, dont elle peut alors demander réparation.
Jusqu’à présent, le préjudice lié à une violation des droits de la personnalité n’était reconnu qu’en faveur des personnes physiques. Les états d’anxiété ou les situations de stress particulières sont inhérents à une personne physique et ne peuvent donc être invoqués que par une telle personne.
Avec cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, une personne morale peut désormais se prévaloir d’un préjudice moral résultant d’une révocation de ses fonctions de représentant légal à caractère vexatoire et brutal. Ainsi, la limite entre les dommages et intérêts qu’une personne morale peut obtenir de par sa nature et ceux inhérents à la personne physique qui se trouve derrière elle s’estompe de plus en plus.
Il reste donc à observer dans les arrêts à venir jusqu’où ira ce parallèle entre personne physique et morale en matière de préjudice moral.
CONTENTIEUX – Le règlement européen n°2020/1784 relatif à la signification et à la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale est entré en vigueur
Le règlement européen n°2020/1784 du 25.11.2020 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale est entré en vigueur le 01.07.2022. Il a pour objectif d’accélérer et de numériser la transmission et la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires dans les affaires transfrontalières au sein de l’Union européenne.
Ce règlement apporte principalement trois innovations :
Tout d’abord, la notification des actes entre les entités nationales s’effectue dorénavant obligatoirement par voie numérique. La notification numérique s’effectue au moyen d’une plateforme numérique décentralisée, sécurisée et fiable, qui regroupe tous les systèmes informatiques utilisées par les autorités judiciaires des différents États membres. Ainsi, en France, l’entité chargée de la notification des actes, l’huissier de justice, pourra déposer l’acte sur cette plateforme numérique, afin que l’entité compétente dans l’État membre de destination puisse accéder à l’acte et le remettre au destinataire. Cette plateforme numérique décentralisée et interopérable ne sera toutefois opérationnelle que d’ici 2025.
Ensuite, le règlement permet désormais à l’entité chargée de la notification des actes, de notifier l’acte par l’envoi d’un courrier électronique au destinataire de l’acte. Cette notification par voie électronique n’est cependant possible qu’à condition que le destinataire de l’acte ait consenti à l’utilisation de services d’envoi recommandé électroniques.
Le règlement prévoit en outre une obligation à la charge de l’État membre où est domicilié le destinataire de l’acte à notifier, de porter assistance à la recherche de l’adresse du destinataire de l’acte lorsque celle-ci n’est pas connue.
Le règlement maintient par ailleurs la faculté de recourir aux modes de signification et de notification traditionnels, à savoir la signification directe, la signification postale, ou encore la signification par la voie diplomatique ou consulaire.
Il est rappelé qu’il est nécessaire de joindre une traduction de l’acte dans une langue comprise par le destinataire ou dans une des langues officielles de l’État membre de destination. En l’absence d’une telle traduction, le destinataire peut refuser de recevoir l’acte, dans un délai de deux semaines à compter de la réception de l’acte.
DROIT FISCAL - Projet de Loi de Finances 2023 : Principales mesures concernant les entreprises
Le projet de loi de finances pour 2023 comporte de nombreuses mesures fiscales concernant les entreprises que nous exposons brièvement ci-après :
- Suppression progressive de la CVAE et abaissement du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée
La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) serait supprimée de manière progressive sur une période de deux ans. Le taux maximal de CVAE sera réduit à 0,375 % en 2023 (il est actuellement de 0,75 %). La CVAE ne sera plus due à compter de 2024.
Pour rappel, la CVAE constitue avec la CFE les deux composantes de la cotisation économique territoriale (CET).
Le taux du plafonnement de la cotisation économique territoriale qui est actuellement de 2 % sera réduit à 1,625 % en 2023 et à 1,25 % en 2024. Avec la suppression de la CVAE, le plafonnement ne concernera plus en 2024 que la CFE.
- Taux d’IS de 15 % pour les PME : Relèvement du plafond de bénéfices
Le plafond de la fraction du bénéfice imposable au taux réduit de l’IS de 15 % sera porté à 42.500 € contre 38.120 €. Le taux normal d’IS est de 25 %.
- Contribution temporaire de solidarité sur les sociétés du secteur de l’énergie
Une contribution temporaire de 33 % sera due par les grandes entreprises du secteur de l’énergie, ayant une activité industrielle.
La contribution sera calculée sur la fraction de bénéfice excédant une moyenne déterminée à partir du résultat des trois derniers exercices.
- Plus de prélèvement à la source (PAS) par les employeurs étrangers non établis
A compter du 1er janvier 2023, les employeurs étrangers ne seront plus tenus de procéder au prélèvement à la source de l’impôt dû sur les salaires versés à certains salariés exerçant leur activité en France. L’impôt sera prélevé directement sur le compte bancaire du salarié suivant le régime des acomptes. Les employeurs ne seront plus tenus que de souscrire une déclaration annuelle.
Cette mesure simplifiera les obligations administratives pesant actuellement sur les entreprises étrangères non établies qui doivent déclarer et payer mensuellement le PAS.
DROIT IMMOBILIER / ENVIRONNEMENT - La remise en état d’un site ICPE à la charge de l’acquéreur en cas de changement d’usage du site
Lors de la cessation d’activité d’une installation classée pour l’environnement (ICPE), l’exploitant est chargé de la remise en état du site pour permettre un usage futur du site déterminé. Par arrêt du 29.06.2022, la Cour de cassation a précisé qui avait la charge du coût supplémentaire de remise en état du site lorsque l’acquéreur en modifie l’usage.
En l’espèce, un exploitant d’une ICPE a cessé son activité et a procédé à la remise en état du site à un usage industriel et commercial. L’exploitant a par la suite vendu le terrain à trois premiers acquéreurs. Peu de temps après, à la suite de la modification du plan local d’urbanisme permettant l’usage du terrain en zone de logement, ces trois premiers acquéreurs ont vendu le terrain à un acquéreur final.
L’acquéreur final a dû payer des coûts supplémentaires afin d’utiliser le terrain à usage d’habitation. Il en a demandé le remboursement à l’exploitant, qui l’a refusé. L’acquéreur final a alors assigné l’exploitant en paiement de dommages et intérêts.
Dans son arrêt du 29.06.2022, la Cour de cassation a donné raison à l’exploitant.
Elle a, tout d’abord, rappelé que l’exploitant a une obligation réglementaire de remise en état du site, afin d’en permettre l’usage futur déterminé conformément aux dispositions réglementaires en vigueur. Cependant, lors d’un changement d’usage ultérieur du site, les mesures et coûts complémentaires y afférents n’incombent pas à l’exploitant s’il n’est pas à l’origine de ce changement d’usage.
En l’espèce, l’exploitant a valablement remis le site en état pour permettre son usage industriel et commercial. Le changement d’usage du site a été décidé par l’acquéreur final.
En outre, le contrat de vente du terrain conclu entre l’exploitant et les premiers acquéreurs stipulait que l’exploitant s’obligeait à prendre à sa charge les éventuels coûts supplémentaires de dépollution du site, seulement s’ils sont nécessaires pour permettre un usage industriel et commercial.
L’acquéreur final doit donc prendre à sa charge les coûts de dépollution supplémentaires du site en vue de permettre son usage d’habitation.
La Cour de cassation a, pour la première fois, statué sur le champ d’application de l’obligation de remise en état du site par l’exploitant d’une ICPE en cas de changement d’usage du site postérieur au permis de construire de dépollution.
On peut se demander si la décision de la Cour de cassation eut été différente si l’exploitant s’était obligé dans le contrat de vente à prendre en charge tout coût supplémentaire de dépollution, indépendamment de l’usage futur du site.
GGV vous informe : L’acquéreur et l’exploitant doivent ainsi prendre soin de rédiger le contrat de vente du site classé afin de répartir clairement la charge des coûts de remise en état supplémentaires du site en cas de changement d’usage ultérieur à la dépollution du site non décidé par l’exploitant.
DROIT IMMOBILIER / CONSTRUCTION - Le point de départ du délai de recours de l’entrepreneur contre le fabricant en garantie des vices cachés court à compter de l’assignation
Un constructeur poursuivi par le maître d’ouvrage pour des vices affectant les matériaux utilisés lors de la construction peut appeler le fabricant en garantie pour vices cachés dans un délai de deux ans. Par arrêt du 29.06.2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé que ce délai de deux ans court à compter de l’assignation du constructeur par le maître d’ouvrage.
En l’espèce, un constructeur d’une centrale électrique a posé des panneaux photovoltaïques dans le cadre d’un marché de travaux privés. Les connecteurs des panneaux photovoltaïques étaient défaillants, de sorte que la production d’électricité s’interrompait. Cette défaillance a été constatée en 2012. Le maître d’ouvrage a assigné le constructeur en responsabilité en 2015. Le constructeur a alors appelé le fabricant des connecteurs des panneaux photovoltaïques en garantie pour vices cachés en 2017.
La cour d’appel a jugé irrecevable l’action en garantie du constructeur contre le fabricant pour vices cachés. Elle a considéré que le délai de deux ans pour appeler en garantie pour vices cachés démarrait au jour de la découverte du vice en 2012, et que le constructeur n’avait appelé le fabricant en garantie qu’en 2017, soit au-delà du délai de deux ans.
Par arrêt du 29.06.2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel. La chambre commerciale a jugé que le délai de deux ans pour l’action en garantie du constructeur contre le fabricant pour vices cachés démarrait au jour de l’assignation du constructeur par le maître d’ouvrage.
Le constructeur a appelé en garantie le fabricant en 2017 alors qu’il avait été assigné par le maître d’ouvrage en 2015. Le constructeur a donc respecté le délai de deux ans à compter de l’assignation du maître d’ouvrage. Son appel en garantie pour vices cachés n’était donc pas prescrit.
La chambre commerciale de la Cour de cassation effectue ainsi un revirement de sa jurisprudence. Jusqu’à présent, en matière de vices cachés, elle avait inséré le délai de recours de l’acquéreur contre le fabricant dans la limite du délai de recours de droit commun de cinq ans à compter de la vente initiale du produit (Cass. com. 16.01.2019). Cette position était également celle de la première chambre civile de la Cour. Elle avantage donc le fabricant, qui ne pouvait plus être appelé en garantie pour vices cachés passé cinq ans après la vente du produit.
La troisième chambre civile a cependant récemment jugé que le délai de droit commun de cinq ans, tout comme le délai de recours pour vices cachés, ne couraient qu’à partir du jour de l’assignation du constructeur (Cass. civ. 3ème 16.02.2022). Il existait ainsi une divergence de jurisprudence entre les différentes chambres de la Cour de cassation sur le point de départ du délai d’appel en garantie du constructeur contre le fabricant pour vices cachés.
Par l’arrêt du 29.06.2022, la chambre commerciale a suivi la position de la troisième chambre civile concernant le point de départ du recours pour vices cachés. Cette position avantage le constructeur, qui peut appeler en garantie le fabricant dès lors qu’il est lui-même assigné par le maître d’ouvrage.
GGV vous informe : Cette divergence est source d’insécurité juridique. La Cour de cassation pourrait donc tenter d’harmoniser sa jurisprudence prochainement, afin de trouver un compromis entre les intérêts du constructeur et ceux du fabricant. Jusqu’à cette harmonisation, tout constructeur assigné par un maître d’ouvrage sera contraint d’appeler en garantie le fabricant dans les meilleurs délais pour éviter la prescription de son action.
DROIT IMMOBILIER / ENVIRONNEMENT – Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé reconnue liberté fondamentale par le Conseil d’État
Par arrêt du 20.09.2022, le Conseil d’ État a consacré le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé comme liberté fondamentale. Toute personne peut se fonder sur cette liberté fondamentale pour saisir le juge administratif en référé en cas d’atteinte à l’environnement.
En l’espèce, des usagers ont attaqué une décision administrative de travaux routiers devant le juge administratif. En parallèle, ils ont demandé la suspension de l’exécution de ces travaux, au motif qu’ils portaient une atteinte au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit inscrit à l’article 1er de la Charte de l’environnement du 01.03.2005.
Le Conseil d’État a jugé que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé présente le caractère d’une liberté fondamentale.
Ainsi, toute personne peut, en cas d’urgence et d’atteinte grave et manifestement illégale à ce droit, saisir le juge des référés administratif pour qu’il ordonne les mesures nécessaires contre la décision administrative, telles que sa suspension (art. L. 521-2 C. justice administrative).
Le Conseil d’État ouvre donc une nouvelle voie procédurale pour agir contre une décision administrative qui porterait atteinte à l’environnement.
Le Conseil d’État a également rappelé les autres voies de recours envisageables en cas d’atteinte à l’environnement. Toute personne peut, en cas d’urgence, demander au juge des référés administratif de suspendre la décision administrative (art. L. 521-1 C. justice administrative) ou encore de prendre des mesures conservatoires (art. L. 521-3 C. justice administrative).
Le juge des référés administratif peut également suspendre une décision administrative en cas :
- d’absence d’étude d’impact des travaux (art. L. 122-2 et L. 123-16 C. environnement), ou
- de conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête, ou
- d’absence d’enquête publique ou de participation du public (art. L. 123-16 C. environnement).
PROTECTION DES DONNEES - Focus sur la géolocalisation de véhicules
La géolocalisation qui permet de localiser de manière précise et en temps réel un ou plusieurs véhicules, peut se révéler utile pour les entreprises qui souhaitent par exemple assurer le suivi de leur flotte de véhicules, assurer la sécurité des personnes ou encore optimiser les trajets empruntés par les conducteurs. Or, la géolocalisation peut aussi avoir une incidence importante sur la vie privée des personnes et nécessite donc certains aménagements pour pouvoir être utilisée de manière conforme au droit.
Ceci a été rappelé par la CNIL dans sa décision n°SAN-2022-015 rendue le 7 juillet 2022 à l’encontre de la société UBEEQO INTERNATIONAL qui a pour objet la location de véhicules pour une courte durée.
Au cours de la location par des clients des véhicules d’UBEEQO, pendant laquelle aucun personnel de la société n’était présent, cette dernière collectait des données de géolocalisation des véhicules tous les 500 mètres lorsque le véhicule était en mouvement, lorsque le moteur s’allumait ou se coupait, ou encore lorsque les portes s’ouvraient ou se fermaient.
Pour justifier sa démarche, la société UBEEQO avait fait valoir que cette collecte était justifiée par un souci de l’assurance de la maintenance et de la performance du service, de localisation des véhicules en cas de vol et de la possibilité d’assister les clients en cas d’accident.
La CNIL a toutefois considéré que la société UBEEQO a commis 3 infractions à la règlementation sur la protection des données à caractère personnel :
- Tout d’abord, la CNIL a ici retenu une violation de l’obligation de la minimisation des données (art. 5.1.c du RGPD), car la collecte de données était trop fine par rapport aux finalités recherchées, tout en constituant une importante intrusion dans la vie privée des clients.
- De plus, la CNIL a sanctionné la société UBEEQO pour le fait de ne pas avoir donné aux utilisateurs/clients un accès aux informations pertinentes relatives au traitement des données lors de l’inscription (manquement à l’article 13 du RGPD). En effet, les personnes étaient amenées à les rechercher parmi les conditions générales d’utilisation, ce qui ne satisfait selon la CNIL pas aux exigences d’une information aisément accessible.
- Enfin, la société UBEEQO avait conservé les données pendant une durée de trois ans après la fin de la dernière activité du client. Ceci ne correspondait selon la CNIL pas au strict besoin de la société de gérer la flotte, de retrouver la voiture en cas de vol ou d’assister le client, et violait donc l’obligation de définir et de respecter une durée de conservation des données proportionnée (article 5.1.e du RGPD).
En conséquence, la CNIL a prononcé une sanction de 175.000 euros à l’encontre d’UBEEQO INTERNATIONAL.
Cette décision illustre bien la tension qui peut exister entre les intérêts de l’entreprise, qui pense disposer d’un intérêt légitime à se servir de toutes les fonctionnalités d’un dispositif de géolocalisation et les droits et libertés des personnes, que celles-ci soient clientes de l’entreprises ou salariées.
Sur ce sujet, la CNIL a par le passé déjà pu énoncer des recommandations en matière de géolocalisation des véhicules des salariés. Ainsi la CNIL a pu préciser que dans les rapports de travail, les employeurs peuvent se servir de la géolocalisation pour des finalités précises, mais ne peuvent en aucun cas se servir d’un dispositif de géolocalisation pour contrôler le respect, par le salarié, des limitations de vitesse, pour surveiller un employé en permanence, ou encore pour calculer le temps de travail s’il existe un autre dispositif à cette fin.
PROTECTION DES DONNEES - Sanction de deux sociétés pour non-respect des droits des personnes en matière de prospection commerciale
La CNIL, pour qui le respect des droits des personnes en matière de prospection commerciale est un thème prioritaire de contrôle en 2022, a sanctionné les sociétés TOTAL ENERGIES ELECTRICITE ET GAZ FRANCE et ACCOR pour non-respect de la règlementation.
Le 23 juin 2022, la CNIL a prononcé à l’encontre de la société TOTAL ENERGIES ELECTRICITE ET GAZ FRANCE une sanction de 1 million d’euros. Peu de temps après, le 3 août 2022, c’est la société ACCOR qui a été sanctionnée à hauteur de 600.000 euros par l’autorité de contrôle française. Dans les deux cas, la CNIL a sanctionné des manquements à la règlementation concernant la prospection commerciale directe par voie électronique.
Aux deux sociétés, TOTAL ENERGIE et ACCOR, la CNIL reproche différents manquements :
- Absence de recueil valable du consentement, alors que les newsletters adressées portaient sur des produits ou services autres que ceux fournis par la société ou étaient adressées en dehors de tout relation contractuelle préalable (ACCOR)
- Recueil du consentement des personnes par une case pré-cochée (ACCOR)
- L’information préalable délivrée de manière non conforme à la règlementation, par simple mise à disposition, au bas de la page web, d’un lien vers une charte de la protection des données personnelles ou via un message téléphonique incomplet (ACCOR, TOTAL ENERGIES)
- Absence de prise en compte des oppositions des personnes concernées en raison d’un dysfonctionnement technique (ACCOR) ou des process internes mis en place (TOTAL ENERGIES)
- Absence de prise en compte de demandes de droit d’accès dans les délais
- Manque de robustesse du mot de passe permettant d’accéder à l’outil de suivi des campagnes de prospection, et par là, non-respect de l’obligation de sécurité des données à caractère personnel (article 32 du RGPD) (ACCOR)
Pour rappel, en matière de prospection B2C par voie électronique, les consommateurs doivent donner leur consentement libre, éclairé et univoque qui de plus requiert une action positive et spécifique du prospect. Par exception, lorsque la personne prospectée est déjà cliente de l’entreprise et que l’opération de prospection porte sur des produits ou services similaires à ceux déjà fournis, la personne doit, au moment de la collecte de ses données être informée de leur utilisation ultérieure pour de la prospection, et la personne doit avoir la possibilité de s’opposer à un tel usage de ses données. De même, dans le cas du B2B, le prospect doit, au moment de la collecte de ses données, être informé des finalités de l’utilisation et doit être en mesure de s’opposer à l’utilisation de son adresse de messagerie à des fins de prospection par voie électronique.
DROIT SOCIAL – Sur certaines mesures de soutien du pouvoir d’achat intéressant les entreprises et leurs salariés
Pour soutenir le pouvoir d’achat des Français, plusieurs mesures ont récemment été mises en place dont certaines intéressent les entreprises et leurs salariés. Ainsi, la Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 permet aux salariés de monétiser certains jours de repos, tandis que la Loi n°2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat instaure notamment la prime dite « de partage de valeur ».
Monétisation des jours de repos
Les salariés peuvent renoncer, avec l’accord de l’employeur, à des jours de réduction du temps de travail (« JRTT ») qu’ils ont acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025 en application d’un accord collectif conclu et étendu avant le 20 août 2008 ou en application de certains dispositifs d’aménagement du temps de travail tel que l’aménagement sur plusieurs semaines (« modulation »). Sont donc notamment concernées, les entreprises appartenant à des branches ayant mis en place les 35 heures par l’attribution de JRTT.
Les journées ou demi-journées travaillées suite à cette renonciation donnent lieu à une majoration de salaire au moins égale au taux de majoration de la première heure supplémentaire applicable dans l’entreprise, c’est-à-dire, le plus souvent à une majoration de 25 %. Les heures ainsi travaillées ne s’imputent pas sur le contingent d’heures supplémentaires applicable au sein de l’entreprise.
La rémunération versée au salarié en contrepartie de cette renonciation bénéficie du régime social et fiscal des heures supplémentaires et est donc exonérée, dans certaines limites et sous certaines conditions, de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu, mais reste soumise à la CSG et à la CRDS et est incluse dans le montant du revenu fiscal de référence.
GGV conseille de documenter l’accord entre le salarié renonçant à des JRRT et son employeur.
Prime de partage de la valeur
La prime de partage de la valeur, remplaçant l’ancienne prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, peut être allouée aux salariés sur la base d’un accord d’entreprise ou par décision unilatérale de l’employeur, après consultation du comité social et économique (s’il existe). Cette prime est exonérée de cotisations sociales et, temporairement et sous certaines conditions, de CSG/CRDS, d’impôt sur le revenu, de taxe sur les salaires et de forfait social, dans la limite de 3.000 € par bénéficiaire et par année civile.
Le montant maximum pouvant être exonéré est porté à 6.000 € par bénéficiaire et par année civile lorsque :
- dans les entreprises soumises à l’obligation de mettre en place un accord de participation (en principe celles employant 50 salariés ou plus), l’entreprise est dotée d’un accord d’intéressement à la date de versement de la prime ou conclut un accord d’intéressement au titre du même exercice que celui du versement de la prime,
- dans les entreprises non soumises à l’obligation de mettre en place un accord de participation, l’entreprise est dotée d’un accord de participation ou d’intéressement ou conclu un accord de participation ou d’intéressement au titre du même exercice que celui du versement de la prime.
GGV préconise de limiter la durée de l’accord d’entreprise ou de la décision unilatérale de l’employeur sur la prime de partage de la valeur à une année calendaire, l’accord ou la décision pouvant être renouvelé l’année suivante.
DROIT SOCIAL - BREVE - Mise à jour obligatoire du règlement intérieur pour rappeler l’existence du dispositif de protection des lanceurs d’alerte
La loi n°2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, est entrée en vigueur le 1er septembre 2022. Elle modifie notamment l’article L. 1321-2 du Code du travail, qui prévoit désormais que le règlement intérieur doit rappeler « l’existence du dispositif de protection des lanceurs d’alerte prévu au chapitre II de la loi n°2016-1681 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ». Il convient donc de modifier le règlement intérieur en ce sens.
COMPLIANCE – BREVE – Publications et recommandations du BAFA, autorité administrative en charge du contrôle d’application de la loi allemande sur le devoir de vigilance
Le 01.01.2023, la Loi allemande sur la diligence (Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz – LkSG) entrera en vigueur. L’Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations (BAFA) n’a pas seulement pour mission de contrôler son application par les entreprises, mais également de publier des informations et d’émettre des recommandations sur la mise en œuvre de la LkSG. C’est dans ce cadre que le BAFA a récemment publié plusieurs guides.
Au terme de la LkSG, les entreprises ont l’obligation de cartographier les risques, une fois par an et lors de toute évolution des risques dans la chaîne d’approvisionnement, par exemple en raison de l’introduction de nouveaux produits, de nouveaux projets ou d’une nouvelle activité. Dans un guide présentant les exigences de la LkSG à ce sujet (Handreichung zur Umsetzung einer Risikoanalyse nach den Vorgaben des Lieferkettensorgfaltspflichtengesetzes), le BAFA souligne l’importance de la cartographie des risques pour l’orientation stratégique et opérative d’une entreprise. Il rappelle que les entreprises devront prioriser les risques de sorte à être en capacité de traiter en premier lieu les risques les plus importants. Le BAFA recommande aux entreprises d’approfondir l’analyse lorsque plus d’informations sur certains risques sont requises, afin de prendre les mesures adaptées.
Les entreprises sont par ailleurs tenues de publier chaque année sur leur site internet, dans les quatre mois de la clôture de l’exercice, un rapport portant sur l’exécution de leurs obligations de vigilance raisonnable au cours de l’exercice social concerné. Pour ce faire, les entreprises devront remplir un questionnaire élaboré et récemment publié par le BAFA (Fragenkatalog zur Berichterstattung gemäß § 10 Abs. 2 LkSG). Le questionnaire contient 437 cases de réponses à des questions ouvertes et fermées ainsi que des questions à choix multiples sur le respect du devoir de vigilance.
Enfin, le BAFA a également publié un guide sur le dispositif d’alerte (Handreichung „Beschwerdeverfahren nach dem Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz“) dont les entreprises soumises à la LkSG doivent se doter. Ce dispositif doit permettre de signaler tout risque d’atteinte aux droits humains et à l’environnement ainsi que toute atteinte qui se serait déjà produite. Dans ce guide, le BAFA explique les étapes de mise en place d’un dispositif d’alerte, de recueil et de traitement des signalements.
Le BAFA y souligne les interactions entre les différentes obligations de vigilance, considérant notamment que le dispositif d’alerte permet aux entreprises d’accéder à des informations sur la gravité des risques d’atteinte aux droits humains ou à l’environnement, la probabilité de leur réalisation, l’efficacité des mesures prises ou encore la contribution de l’entreprise à ces risques ainsi que sa capacité d’influence à prévenir ou minimiser les risques. Le BAFA ajoute que ces connaissances devront être pris en compte pour l’analyse des risques et les mesures de prévention et de correction.
Conseil de GGV : Vous êtes une société soumise à la loi allemande et à la loi française sur le devoir de vigilance ? Contactez-nous pour en savoir plus comment concilier les obligations que ces deux lois impliquent.
COMPLIANCE – BREVE – Lanceur d’alerte : le Décret d’application est paru
Dans notre Lettre d’information Franco-Allemande de mars 2022, nous avions résumé les nouveautés de la Loi sur la protection des lanceurs d’alerte, entrée en vigueur le 01.09.2022. Son Décret d’application, très attendu, a finalement été publié le 04.10.2022, permettant aux sociétés soumises à l’obligation de mettre en place un dispositif d’alerte de mettre à jour leur procédure de recueil et de traitement des signalements.
Le Décret régit les procédures de recueil et de traitement des signalements et fixe, dans son annexe, la liste des 45 autorités externes auprès desquelles peuvent être émis des signalements. Il apporte certaines précisions à la Loi, mais ne se prononce pas sur tous les points attendus.
En ce qui concerne la mutualisation du recueil et du traitement dans un groupe de sociétés, le Décret fait une distinction subtile, selon laquelle toute société peut confier à un tiers le recueil des signalements, sans limite de seuil, tandis que seules les sociétés de moins de 250 salariés peuvent mutualiser à la fois le recueil et le traitement des signalements. Il en résulte pour les groupes de sociétés que la mutualisation du seul recueil des signalements sera toujours possible, quelle que soit la taille des sociétés du groupe, tandis que la mutualisation du recueil avec traitement des signalements ne sera possible que pour les sociétés du groupe comptant moins de 250 salariés.
Le Décret précise en outre les délais d’accusé de réception du signalement (7 jours) et de retour d’informations à son auteur (3 mois) ainsi que les conditions dans lesquelles le recueil des signalements peut être confié à un tiers.
Le Décret prévoit également que les personnes ou services chargés du recueil et du traitement des signalements doivent disposer, par leur positionnement ou leur statut, de la compétence, de l’autorité et des moyens suffisants à l’exercice de leurs missions.
Enfin, la communication sur la procédure d’alerte doit se faire par tout moyen approprié à la rendre accessible : notification, affichage, publication, sur le site internet ou par voie électronique, etc.
En revanche, bien que la Loi renvoie sur ces points au Décret d’application, ce dernier n’apporte aucune précision sur les garanties d’indépendance et d’impartialité du dispositif d’alerte ainsi que la collecte et la conservation des données à caractère personnel.
Conseil de GGV : Pour en savoir plus sur la Loi et le Décret régissant les lanceurs d’alerte, consultez notre site https://whistleblowing-ggv.com/.