Lettre d’information franco-allemande | Printemps 2024
Par le biais de cette lettre d’information bilingue, rédigée par l’équipe franco-allemande de GGV Avocats – Rechtsanwälte qui a pour vocation de conseiller les entreprises dans leur relations transfrontalières, nous souhaitons vous tenir informés de l’actualité juridique et fiscale française et internationale.
Pour être sûr de ne pas rater nos prochaines lettres d’information franco-allemandes, recevez leurs notifications par email en vous abonnant :
S’abonner à la lettre d’information franco-allemande
Actualités France
- DROIT COMMERCIAL – Des règles clarifiées pour les contrats interdépendants
- DROIT COMMERCIAL – Filières REP : Annulation de la disposition prévoyant la désignation d’un mandataire et sa subrogation dans toutes les obligations du producteur
- CORPORATE – Renforcement du contrôle des investissements étrangers dans les entreprises françaises
- CORPORATE – Campagne d’approbation de comptes 2023 : anticipez les particularités de cette année !
- CONTENTIEUX – Les sociétés étrangères bénéficient du délai de distance, même lorsqu’elles sont représentées en France par un mandataire d’intérêt général
- CONTENTIEUX – La fixation du prix dans les contrats de prestations de service : Retour vers le futur !
- DROIT DU TRAVAIL – Acquisition des droits à congés payés et arrêt maladie – Épisodes 2 et 3
- DROIT SOCIAL – Recevabilité de la preuve déloyale en matière civile : conséquences du revirement de jurisprudence opéré par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation
- DROIT SOCIAL – Nouvelle procédure de proposition d’un contrat à durée indéterminée après un contrat à durée déterminée ou un contrat d’intérim
- DROIT PENAL ENVIRONNEMENTAL – Essor de la convention judiciaire d’intérêt public dans les infractions de droit pénal environnemental
Actualités France
DROIT COMMERCIAL – Des règles clarifiées pour les contrats interdépendants
La Cour de cassation précise les règles applicables à la suite de la réforme du droit des obligations de 2016.
Des contrats sont interdépendants lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération. Dans l’arrêt considéré (Cass. Com. 10 janvier 2024, n° 22-20.466, publié au bulletin), une association a conclu un contrat de location financière d’un photocopieur avec une société de financement, qui avait acheté ce photocopieur à une société de bureautique. L’association et la société de bureautique avaient conclu concomitamment un contrat de maintenance dudit photocopieur.
La question qui se pose est de savoir quel est le devenir des autres contrats au cas où l’un des contrats de l’ensemble contractuel disparaît, ici le contrat de maintenance.
La règle de l’article 1186 alinéas 2 et 3 du Code civil est que les contrats dont l’exécution est rendue impossible par la disparition sont caducs. Il en va de même des contrats pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. Dans les deux cas, la caducité n’intervient que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement.
La Cour de cassation apporte des précisions qui simplifient l’application de cette règle.
La Cour confirme d’abord sa jurisprudence d’avant la réforme selon laquelle, dans les ensembles de contrats interdépendants formant une opération qui inclut une location financière, les clauses inconciliables avec cette interdépendance sont réputées non écrites. Dans la présente affaire, le contrat de location financière comportait une clause qui visait à rendre ce contrat indépendant du contrat de maintenance, tout en obligeant l’association à conclure un nouveau contrat de maintenance si le premier contrat était résilié. Une telle clause, dite de divisibilité, est réputée non écrite.
La Haute juridiction considère en outre que, dans une opération comportant une location financière, la société de financement avait nécessairement connaissance de l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’elle avait donné son consentement. Le contrat de location financière est automatiquement caduc lorsqu’un autre contrat relatif à l’opération disparaît, sans qu’il soit besoin de prouver que la société de financement avait la connaissance de l’opération d’ensemble.
Conseil de GGV : il faut faire très attention à la procédure à suivre pour sortir de la relation contractuelle dans le cadre d’un ensemble de contrats interdépendants. Par exemple, si l’on résilie simultanément le contrat de location financière et le contrat de prestation de service, il n’y a pas caducité du contrat de location financière et les sommes exigibles en cas de résiliation de ce dernier contrat sont dues (CA Lyon, 3ème chambre A, 21 décembre 2023, n° 20/05048).
DROIT COMMERCIAL – Filières REP : Annulation de la disposition prévoyant la désignation d’un mandataire et sa subrogation dans toutes les obligations du producteur
Le Conseil d’Etat a annulé la disposition qui prévoyait la possibilité pour les producteurs de se voir subrogés dans leurs obligations en matière de responsabilité élargie du producteur (REP) par un mandataire établi en France (Conseil d’Etat, 10 nov. 2023, n° 449213).
Le décret n°2020-1455 du 17 novembre 2020 introduisait un nouvel article R.541-174 au Code de l’environnement, par lequel :
- les producteurs établis en France, dans un pays membre de l’Union Européenne ou dans un pays tiers pouvaient désigner une personne physique ou morale établie en France comme mandataire chargé d’assurer le respect de leurs obligations en matière de REP.
- le mandataire était alors subrogé dans toutes les obligations de REP du producteur dont elle acceptait le mandat.
Le Conseil d’Etat a considéré que cette subrogation n’était prévue par aucune disposition législative, et qu’ainsi le pouvoir règlementaire avait excédé sa compétence. Il a conclu à l’annulation partielle du décret sur ce point.
Si la possibilité pour un producteur de déléguer à un mandataire son obligation d’adhérer à un éco-organisme n’est donc plus prévue par un texte de droit français, il faut rappeler que la disposition abrogée l’a été pour une raison technique (absence de disposition législative nationale) et que la possibilité de désigner un mandataire est issue du droit européen (article 8 de la Directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008).
Il est donc probable que le gouvernement ou le Parlement réagisse prochainement pour rétablir la conformité avec la directive européenne.
CORPORATE – Renforcement du contrôle des investissements étrangers dans les entreprises françaises
Pour les investisseurs extra-européens, les obligations d’autorisation actuellement en vigueur au-delà de 10 % des droits de vote dans les sociétés cotées en France sont désormais pérennisées. Pour tous les investisseurs étrangers, les obligations d’autorisation sont étendues aux succursales françaises, ainsi qu’à d’autres secteurs économiques sensibles.
1. Le critère du secteur économique « sensible »
Les obligations d’autorisation concernent exclusivement les entreprises actives dans un secteur économique dit « sensible ». Jusqu’à présent, ce critère couvrait déjà, entre autres, l’industrie de l’armement, le secteur des jeux de hasard, l’approvisionnement en eau et en énergie et l’exploitation de services de communication électronique.
Le champ d’application de ce critère a été élargi et comprend désormais de nouvelles activités, telles que :
- les activités essentielles à la sécurité, au traitement, à l’extraction ou au recyclage des matières premières critiques,
- les activités de recherche et de développement dans les domaines de la photonique et des technologies de production d’énergie à faible teneur en dioxyde de carbone,
- les activités essentielles à la sécurité des établissements pénitentiaires.
2. Inscription permanente des mesures de contrôle dans le Code monétaire et financier
Les obligations d’autorisation relatives au franchissement direct ou indirect du seuil de 10 % des droits de vote dans une société cotée française exerçant son activité dans un secteur économique dit « sensible » n’étaient initialement prévues que jusqu’au 31 décembre 2023. Elles sont désormais pérennisées et retranscrites dans l’article R. 151-3 II 11° du Code monétaire et financier.
3. Extension des mesures de contrôle aux succursales
Outre la prise de contrôle d’une société constituée en vertu du droit français, la prise de contrôle d’une succursale inscrite au registre du commerce et des sociétés est désormais également soumise à autorisation.
4. Conséquences juridiques de l’absence d’autorisation
Tout engagement, convention ou clause contractuelle prévoyant directement ou indirectement un investissement étranger et qui n’a pas été préalablement autorisé dans le cadre du contrôle des investissements étrangers en France est nul (article L. 151-4 du Code monétaire et financier).
En outre, le Ministre de l’Economie peut prononcer une sanction pécuniaire dont le montant maximum est égal au plus élevé des montants suivants : deux fois le montant de l’investissement, 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise cible ou 1 million d’euros pour une personne physique ou 5 millions d’euros pour une personne morale.
Conseil de GGV : si vous envisagez une opération avec des investisseurs étrangers, il est judicieux de consulter les réglementations renforcées afin de pouvoir suffisamment anticiper le processus d’autorisation.
CORPORATE – Campagne d’approbation de comptes 2023 : anticipez les particularités de cette année !
La campagne d’approbation des comptes démarre pour les sociétés qui ont clôturé leur exercice le 31 décembre 2023. En effet, elles doivent approuver leurs comptes dans les six mois de la clôture de leur exercice, soit, au plus tard le 28 juin 2023, le 30 étant cette année un dimanche.
Le décret relevant les seuils définissant les catégories d’entreprises et de groupes (micro, petite, moyenne et grande entreprise), entré en vigueur le 1er mars 2024, est applicable aux comptes et rapports se rapportant aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024. Ces seuils s’élèvent désormais à 7,5M € pour le total de bilan, 15M € pour le chiffre d’affaires hors taxes, et un nombre moyen de 50 salariés.
Dès lors, pour apprécier si une société est tenue ou non d’établir un rapport de gestion, il convient d’appliquer cette année encore les anciens seuils (6M € pour le total de bilan, 12M € pour le chiffre d’affaires hors taxes, et un nombre moyen de 50 salariés).
Toutefois, concernant la désignation d’un commissaire aux comptes, la situation des sociétés doit être appréciée sous le prisme des nouveaux seuils. Ces seuils s’élèvent désormais à 5M € pour le total du bilan (contre 4M € auparavant), 10M € pour le chiffre d’affaires hors taxes (contre 8M € auparavant) et un nombre moyen de 50 salariés (inchangé). Une société qui, à la clôture de ses comptes au 31 décembre 2023, dépasse les anciens seuils mais pas les nouveaux, n’a donc pas à désigner de commissaire aux comptes. Lorsque le mandat du commissaire aux comptes arrive à son terme lors de l’approbation des comptes de l’exercice clos au 31 décembre 2023, la question du renouvellement de son mandat doit également s’apprécier au regard des nouveaux seuils.
Le cabinet GGV se tient à votre disposition pour vous conseiller et vous assister dans l’approbation de vos comptes.
CONTENTIEUX – Les sociétés étrangères bénéficient du délai de distance, même lorsqu’elles sont représentées en France par un mandataire d’intérêt général
Civ. 2e, 21 déc. 2023, F-B, n° 21-21.140
Il convient de rappeler qu’en application des articles 643 et 645 du Code de procédure civile, les personnes physiques et morales résidant à l’étranger bénéficient d’une augmentation des délais de procédure (« délai de distance »). Ce délai de distance est d’une durée de deux mois et s’applique notamment aux délais fixés pour interjeter appel, pour comparaitre, pour communiquer des conclusions, pour faire opposition, ainsi que pour former un pourvoi en cassation.
L’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 21 décembre 2023 est venu préciser ce que recouvrait la notion de personne résidant à l’étranger, pouvant bénéficier du délai de distance.
En l’espèce, une Compagnie d’assurances britannique avait comparu devant le tribunal de grande instance en étant représentée par un mandataire d’intérêt général, comme l’y oblige l’article L. 362-1 du Code des Assurances. Elle avait interjeté appel à l’encontre du jugement rendu en première instance, près de trois mois à compter de la notification de jugement. Le Conseiller de la mise en état, puis la Cour d’appel de Paris sur déféré, ont tous deux jugé cet appel irrecevable, car tardif.
La Compagnie d’assurances britannique a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. La Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, considérant que la Compagnie d’assurances était une société étrangère et devait à ce titre bénéficier des délais de distance, quand bien même elle était représentée devant les juridictions françaises par un mandataire d’intérêt général établi en France. La Cour d’appel de Paris aurait donc dû juger recevable l’appel interjeté par la Compagnie d’assurances.
Cet arrêt du 21 décembre 2023 est donc protecteur des intérêts procéduraux des sociétés étrangères, puisqu’il vient élargir la définition de personne résidant à l’étranger pouvant bénéficier du délai de distance.
CONTENTIEUX – La fixation du prix dans les contrats de prestations de service : Retour vers le futur !
S’il est un texte issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui a été contesté, c’est bien l’article 1165 du Code civil relatif à la détermination du prix dans les contrats de prestations de service.
Pour rappel, ce texte prévoit que « dans les contrats de prestations de services, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation ».
L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 20 septembre 2023 témoigne que cette nouvelle disposition n’a pas convaincu la Cour de cassation non plus, laquelle semble confirmer sa jurisprudence antérieure à l’ordonnance de réforme du droit des contrats. Dans cette décision, tant la mise à l’écart du pouvoir du créancier de fixer unilatéralement le prix de sa prestation que l’affirmation du devoir des juges de le déterminer eux-mêmes sonnent comme un désaveu du législateur.
Cass. com., 20 sept. 2023, n° 21-25386
Dans les faits, un cabinet d’experts-comptables assigne une société cliente en paiement de factures au titre de diverses prestations. Débouté par les juges du fond, suivant la procédure d’injonction de payer, le demandeur saisit la Cour de cassation d’un pourvoi sur le fondement tiré de la violation de l’article 1165 du Code civil par les juges du fond.
Selon le demandeur, les juges devaient ordonner le paiement des factures, puisque la partie adverse, absente à l’instance, n’avait évidemment soulevé aucune contestation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi doublement.
Tout d’abord, elle estime que le prix des honoraires de l’expert-comptable doit faire l’objet d’un accord de volontés des deux parties, conformément aux règles de la profession, qui impose à l’expert-comptable – comme à l’avocat – de conclure par écrit avec son client une convention d’honoraires, dans laquelle doivent être précisés, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles.
Ensuite, qu’en est-il si les honoraires n’ont pas été fixés et acceptés lors de la conclusion du contrat, eu égard la possibilité pour le créancier de les fixer unilatéralement ?
Renouant avec sa jurisprudence constante antérieure à l’ordonnance de 2016 selon laquelle, à défaut
d’accord des parties sur le prix, il revient au juge de fixer celui-ci, la Cour de cassation réaffirme à contre-courant de l’évolution législative, une double exigence, la première à l’égard du créancier, et la seconde à la charge du juge.
Comme il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention[1], « il incombe au prestataire, en sa qualité de demandeur, d’établir le montant de sa créance, et, à cet effet, de fournir les éléments permettant de fixer ce montant »[2].
Enfin, la Haute juridiction vient censurer les juges du fond au visa du déni de justice. En effet, visant l’article 4 du Code civil[3], et c’est assez rare pour être souligné, la Cour enjoint au juge du fond de fixer lui-même le prix de la prestation due par le client, en cas de désaccord ou si le créancier n’en motive pas le montant.
[1] Article 9 du Code de procédure civile
[2] Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, n° 95-21161
[3] « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. »
DROIT DU TRAVAIL – Acquisition des droits à congés payés et arrêt maladie – Épisodes 2 et 3
Épisode 2 : Les dispositions du Code du travail relative à l’acquisition des congés payés ont été soumises au Conseil Constitutionnel qui les estime conformes à la constitution
Décision 2023-1079 QPC du 8 février 2024
5 mois après que la chambre sociale de la Cour de cassation a choisi d’écarter son application pour non-conformité au droit européen (notre article à ce sujet ici) le Conseil Constitutionnel, a jugé que l’article L. 3141-5 -5° du Code du travail qui prévoit que l’absence maladie ne permet d’acquérir des droits à congés que lorsqu’elle est causée par une maladie professionnelle ou un accident du travail et est limitée à 1 an est conforme à la constitution.
Pour les sages, l’article L. 3141-5 -5° du Code du travail ne méconnait ni le droit à la santé et au repos, ni le principe d’égalité devant la loi par rapport aux salariés absents à cause d’une maladie d’origine non professionnelle.
Épisode 3 : Le gouvernement a soumis à l’Assemblée Nationale un texte modifiant les dispositions du Code du travail relatives à l’acquisition des congés payés
Après avoir recueilli l’avis du Conseil d’État (avis du 13 mars 2024), le gouvernement a soumis à l’Assemblée Nationale un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union Européenne.
Les modifications proposées sont les suivantes :
- La période d’acquisition des congés payés du salarié dont le contrat de travail est suspendu pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle n’est plus limitée à 1 an.
- Le salarié absent à cause d’une maladie d’origine non professionnelle acquiert deux jours ouvrables (soit 1,66 jours ouvrés) par mois dans la limite de 24 jours ouvrables (soit 20 jours ouvrés) par période de référence.
- Lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie, de prendre ses congés au cours de la période de prise, il bénéficie d’une période de report de 15 mois pour les utiliser.
- L’employeur informe le salarié, lors de sa reprise du travail, du nombre de jours de congés dont il dispose et de la date jusqu’à laquelle il peut les prendre.
Ces modifications tiennent donc compte de la Directive UE de 2003 (garantissant un droit à congés annuel de 4 semaines par an) et de la jurisprudence de la CJUE (ayant fixé à 15 mois la durée maximale de report des congés non pris du fait d’une absence maladie) et de la Cour de cassation (selon laquelle la prescription des droits à congés ne court qu’une fois que l’employeur a mis le salarié en mesure le salarié d’exercer ses droits à congés).
DROIT SOCIAL – Recevabilité de la preuve déloyale en matière civile : conséquences du revirement de jurisprudence opéré par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation
Par un arrêt du 22 décembre 2023 (n°20-20.648), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a décidé qu’une preuve déloyale peut être communiquée par une partie devant le juge civil, si c’est le seul moyen dont elle dispose pour apporter la preuve de son allégation.
La preuve déloyale est celle qui a été obtenue soit de manière clandestine, à l’insu d’une personne, soit au moyen d’un stratagème, par l’élaboration d’un plan ou d’une mise en scène.
Jusqu’à l’arrêt de l’Assemblée plénière, le principe de la loyauté de la preuve conduisait les juridictions à écarter systématiquement les preuves obtenues à l’insu d’une partie.
Sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation est revenue sur cette solution et considère désormais que le droit à la preuve peut justifier la production d’une preuve recueillie de manière déloyale.
La recevabilité de la preuve déloyale reste toutefois doublement limitée, puisque l’atteinte causée aux autres droits en présence, tels que le droit au respect de la vie privée ou au secret des affaires, doit être indispensable et proportionnée au but poursuivi.
Lorsqu’ils sont confrontés à une preuve obtenue de manière déloyale, les juges du fond apprécient désormais in concreto, au regard des différents intérêts en présence, le caractère nécessaire et proportionné de la preuve.
La chambre sociale de la Cour de cassation a donné une première interprétation stricte du caractère indispensable de la production d’une preuve déloyale. Par un arrêt du 17 janvier 2024 (n°22-17.474) elle a en effet écarté l’enregistrement clandestin réalisé par un salarié de son entretien avec des membres du CHSCT, en vue de prouver son prétendu harcèlement moral. Le salarié disposant d’autres éléments de preuve, cet enregistrement n’était pas indispensable à son exercice du droit à la preuve.
Dès lors qu’il existe d’autres éléments de preuve permettant à une partie de démontrer ses prétentions, les preuves obtenues de manière clandestine ou par l’emploi d’un stratagème continueront ainsi à être écartés des débats par les juridictions.
GGV conseille par conséquent aux employeurs de ne recourir que de manière exceptionnelle aux enregistrements ou vidéosurveillance réalisés à l’insu des salariés et, afin de prévenir une multiplication des pratiques déloyales dans l’entreprise, d’inscrire dans le règlement intérieur une interdiction générale de réaliser des enregistrements vidéo ou sonores.
DROIT SOCIAL – Nouvelle procédure de proposition d’un contrat à durée indéterminée après un contrat à durée déterminée ou un contrat d’intérim
Depuis le 1er janvier 2024, l’employeur doit respecter une procédure particulière lorsqu’il propose à un salarié en contrat à durée déterminée (CDD) ou à un intérimaire, au-delà du terme de son contrat précaire, un contrat à durée indéterminée (CDI) portant sur un emploi identique ou similaire. En cas de refus de la proposition par le salarié, l’employeur doit en informer France Travail (anciennement « Pôle Emploi »).
Ces obligations sont issues de la Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 (Loi Travail). Le dispositif est applicable depuis la publication d’un décret du 28 décembre 2023 et d’un arrêté du 3 janvier 2024.
L’employeur doit, avant le terme de son contrat précaire, notifier au salarié la proposition d’un CDI, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans les situations suivantes :
- Le salarié concerné est en CDD et le CDI porte sur un emploi identique ou similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente pour une durée de travail équivalente, relevant de la même classification et sans changement du lieu de travail.
- Le salarié est en intérim et le CDI concerne un emploi identique ou similaire, sans changement du lieu de travail.
En cas de refus par le salarié du CDI proposé, l’employeur doit en informer France Travail par voie dématérialisée sur une plateforme dédiée.
Lorsque le salarié a refusé, sur une période de 12 mois, au moins deux propositions de CDI concernant un emploi remplissaient les conditions mentionnées ci-dessus, il ne peut plus, sauf exceptions, bénéficier de l’allocation d’assurance chômage.
GGV rappelle que, depuis le 1er novembre 2023, l’employeur doit, lorsqu’ils le demandent, informer les salariés en CDD et les intérimaires ayant une ancienneté d’au moins 6 mois, des postes en CDI à pourvoir au sein de l’entreprise. Cette obligation concerne les postes correspondant à leur qualification (même lorsqu’ils ne sont pas similaires ou identiques) et existe indépendamment du dispositif décrit ci-dessus, pendant toute la durée du contrat précaire.
DROIT PENAL ENVIRONNEMENTAL – Essor de la convention judiciaire d’intérêt public dans les infractions de droit pénal environnemental
La jurisprudence récente valide les conventions judiciaire d’intérêt public conclues entre le ministère public et les entreprises poursuivies pour des infractions portant atteinte à l’environnement.
La convention judiciaire d’intérêt public appliquée aux délits environnementaux
La convention judiciaire d’intérêt public est un outil procédural permettant au ministère public de conclure une transaction avec toute personne morale poursuivie pour des délits. La loi du 24 décembre 2020 a permis au ministère public de proposer des conventions judiciaires d’intérêt public aux personnes morales poursuivies pour des délits environnementaux.
Ainsi, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, le Procureur de la République peut proposer un accord à une entreprise mise en cause pour des infractions environnementales et lui imposer les obligations suivantes :
- Le versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquement;
- La régularisation de la situation au regard de la loi ou des règlements dans le cadre d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans, sous le contrôle des services compétents du ministère chargé de l’environnement et des services de l’Office français de la biodiversité ;
- La réparation du préjudice écologique résultant des infractions commises dans un délai maximal de trois ans et sous le contrôle des mêmes services.
Pour que cette convention judiciaire d’intérêt public soit applicable, le Procureur de la République et l’entreprise doivent obtenir sa validation par la juridiction compétente.
Les décisions récentes
Ainsi, à titre d’illustration, le Président Tribunal judiciaire de Besançon a validé deux conventions judiciaires d’intérêt public environnementales par décisions du 14 décembre 2023.
La première a été conclue avec l’entreprise SNCF Réseau, mise en cause pour trois infractions environnementales dans le Doubs : la construction ou l’aménagement de terrain par personne morale dans une zone interdite par un plan de prévention des risques naturels, la destruction non autorisée de l’habitat d’une espèce animale protégée non domestiques, et l’exercice sans autorisation par personne morale d’une activité nuisible à l’eau ou au milieu aquatique.
La seconde a été conclue avec une entreprise mise en cause pour les infractions de déversement par personne morale de substance nuisible dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer, et pour rejet en eau douce ou pisciculture par personne morale de substance nuisible au poisson ou à sa valeur alimentaire.
Ces conventions judiciaires d’intérêt public ont été publiées sur le site internet du ministère de l’Ecologie (https://www.ecologie.gouv.fr/convention-judiciaire-dinteret-public-cjip).
GGV vous informe : toute entreprise qui, en tant que maître d’ouvrage ou en tant que constructeur, ne se conformerait pas aux règles applicables en matière environnementale, peut voir sa responsabilité administrative mais également sa responsabilité pénale engagées. Le cas échéant, elle peut avoir intérêt à négocier avec le Procureur de la République pour réduire sa peine et éviter toute procédure judiciaire.